Le B.A. – BA de la méthode ABC (partie 1)


Contexte et fondements


Anne Chanteux, Chargée de cours en comptabilité et contrôle de gestion à HEC – Ecole de Gestion de l'Université de Liège – Formatrice et consultante en entreprise – Associée TRAINCONSULT SPRL.
La méthode ABC Activity Based Costing, pourtant déjà développée aux Etats-Unis depuis plus de 25 ans, est encore peu ou en tout cas mal connue par bon nombre de gestionnaires. Il s'agit d'une méthode de calcul des coûts complets dans laquelle on essaie de répartir les divers coûts indirects de la manière la plus pertinente possible.
Ce premier article a pour objectif de présenter le contexte et les fondements de base de la méthode. Un deuxième article décrira les bases du calcul de prix de revient complets avec cette méthode ainsi que ses avantages et inconvénients.


Contexte



Déjà à la fin des années septante et au début des années 1980, de nombreuses voix s’élevaient pour dénoncer les faiblesses des méthodes traditionnelles d’imputation des charges indirectes dans le cadre du calcul des prix de revient complets. Les principales critiques visaient, d’une part, le choix de clés de répartition arbitraires et principalement liées au volume d’activité et, d’autre part, l’emploi trop généralisé de la main d’oeuvre directe comme unité d’oeuvre alors que dans beaucoup d’entreprises, la part de celle-ci dans l’ensemble des coûts est en régression depuis bien longtemps.

Au milieu de toutes ces voix, un homme se démarque pourtant; il s’agit du renommé Robert Kaplan, professeur à la Harvard Business School. Au début des années 1980, il a publié divers articles qui feront le tour du monde :

  • dans un premier article dénommé “relevance lost”, il dénonce les faiblesses et les dérives des méthodes employées jusqu’alors et montre dans quelle mesure la perte de pertinence dans le calcul des prix de revient peut engendrer des consequences fâcheuses dans le cadre de la prise de décisions;
  •  dans un autre aticle intitulé “relevance regained”, il pose les premiers fondements de la méthode de l’Activity Based Costing, plus communément connue sous l’abréviation de méthode ABC. L’objectif initial était de trouver – ou de retrouver – des coûts complets pertinents dans lesquels les charges indirectes sont réparties de manière correcte.

 

Il serait erroné de croire que Kaplan a inventé cette méthode de toutes pièces. En fait, quelques entreprises  américaines avaient déjà entamé des processus de reorganization de leur système de comptabilité de gestion.
Robert Kaplan, de par sa grande expérience, a permis de concentrer les idées novatrices et de les formaliser en une nouvelle méthode de calcul des coûts fondées sur le concept des activités qu’il a nommée “Activity Based Costing”. Sa grande notoriété a ensuite facilité la diffusion de ces nouvelles idées dans le monde entier.



Le point de départ de l’ABC : le concept d’activité



De nos jours, il est fondamental pour l’entreprise d’identifier, de mesurer et de controller toutes les activités : les activités de base de son métier et les activités de services qui deviennent de grosses consommatrices de ressources et qui contribuent de plus en plus à la valorisation des produits et services sur le marché.

Philippe Lorino définit une activité comme suit : «une activité est un ensemble de tâches ou d’actions réalisées par une personne ou une équipe, faisant appel à un ensemble homogène de savoir-faire, ayant un comportement cohérent du point de vue des coûts et des performances, pouvant être caractérisés globalement par des inputs et un output communs bien identifiés et ayant une importance significative pour la performance économique de l’entité analysée.»1

Cette définition appelle plusieurs commentaires :

  •  l’activité se définit à partir d’une personne ou d’une équipe de plusieurs personnes pourvu que ces personnes agissent à partir d’un savoir-faire homogène, c’est-à-dire que leurs compétences soient complémentaires et forment un ensemble cohérent. Par exemple, une équipe d’ingénieurs informaticiens qui conçoivent et rédigent des logiciels d’organisation de la production exercent une activité homogène. Selon cette conception, la personne est l’élément central qui crée l’activité. Dans les activités de services, la personne ou une équipe de plusieurs personnes sert de référence à l’identification des activités. Cependant, dans les activités de production, on peut dans certains cas définir l’activité à partir d’une machine ou d’un équipement industriel composé de plusieurs machines;
  •  l’exercice de l’activité doit se faire à partir d’inputs communs. Pour exercer une activité, les personnes disposent non seulement d’un savoir-faire homogène, mais elles utilisent aussi des ressources matérielles (matériel, locaux, fournitures, etc.) et des ressources immatérielles (marques de fabrique, brevets, logiciels,{);
  •  la personne ou l’équipe doit fournir un output bien identifié. Le principe est simple : il faut identifier avec précision la nature de la prestation fournie. Par exemple, l’output d’une équipe de maçons est de maçonner des briques ou des blocs;
  •  enfin, l’activité doit avoir une importance significative pour l’entreprise. Faut-il considérer chaque tâche élémentaire comme une activité ou faut-il créer des ensembles cohérents de tâches, et considérer l’ensemble comme une activité? Il serait déraisonnable de s’en tenir à chaque tâche élémentaire pour deux raisons : d’une part, l’analyse et la recherche de coûts aussi détaillés seraient la source de surcoûts; d’autre part, ces tâches s’enchaînent souvent entre elles et créent des relations complémentaires qu’il est logique et possible de regrouper.

Donc, l’activité ne se résume pas à une tâche élémentaire : c’est un ensemble de tâches interdépendantes ayant pour objectif d’ajouter de la valeur aux produits ou aux services et donc de fournir un output bien précis à un ou plusieurs clients (internes ou externes) à partir d’un panier de ressources. Il faut donc regrouper des tâches élémentaires pour créer une activité qui soit significative; ce regroupement est réalisé à partir des tâches qui s’articulent entre elles.
Par exemple, approvisionner est une «macro-activité» qui comprend plusieurs tâches articulées entre elles : rechercher des fournisseurs aptes à répondre aux besoins de l’entreprise, rechercher leur solidité financière, étudier leurs produits et leurs conditions de vente, négocier les contrats, passer les commandes, suivre les livraisons,
réceptionner et contrôler les livraisons, vérifier la qualité des produits, contrôler les factures, etc.

Quelques exemples d’activités :

  • produire des études de marché;
  • adresser des factures aux clients;
  • forer des trous;
  • établir les documents du personnel;
  • emballer les produits;
  • construire le budget de l’année à venir,

Raisonnement de base de la méthode ABC


Les fondements de l’Activity Based Costing peuvent aisément être regroupés en 3 phrases. Par contre, leur application demandera un investissement en temps certain :

- la manière de faire les choses cause les ACTIVITES;
- les activités (et non les produits) CONSOMMENT DES RESSOURCES et donc induisent des coûts;
- enfin, les OBJETS DE COUT (produits, clients, projets, portefeuilles de produits,

CONSOMMENT DES ACTIVITES.
Dans les méthodes traditionnelles, on cherche généralement dans un premier temps, à maintenir sous un certain contrôle un ensemble de ressources et puis, on s’échine à chercher des clés de répartition pour les imputer aux prix de revient des produits. On ne se préoccupe pas – ou très peu – du bien fondé de l’existence des coûts et de leur évolution au fil du temps.

En introduisant une étape supplémentaire entre “ressources” et “prix de revient”, à savoir le passage par le concept des activités, la méthode ABC, quant à elle, refuse la fatalité de l’existence des coûts. Il faut d’abord se questionner sur l’utilité de l’existence de telle ou telle activité au sein de l’organisation : apporte-t-elle une réelle valeur ajoutée aux yeux du client?

Avec l’ABC, l’entreprise n’est donc plus perçue comme un ensemble de ressources regroupées en unités administratives dont il suffit de maximiser l’efficience, indépendamment les unes des autres, pour avoir du succès. L’entreprise est désormais perçue comme un ensemble d’activités interreliées qui forment des réseaux (chaînes d’activités) appelés processus.



un second article vous exposera les bases du calcul de prix de revient complets avec cette méthode ainsi que ses avantages et inconvénients.